Je suis un masque qui chasse les mauvais esprits.

Par Éva, 2nde – 2019/2020.

Consignes :
Vous choisirez un masque africain. Vous vous renseignerez sur l’ethnie à laquelle il appartient (éventuellement en fonction du siècle auquel il a été créé) … Vous ferez ensuite parler le masque dans un long monologue tiré de votre imagination et, si c’est judicieux, de ce que vous aurez appris sur son peuple. Ne cherchez pas à être réalistes, ce n’est pas l’exercice, laissez-vous porter par votre imagination. Vous pouvez également prêter au masque des sentiments et des émotions.


Bonjour Monsieur, bonjour Madame, je suppose que vous ne me connaissez pas. De toute façon, si vous m’aviez dit « oui », je ne vous aurais pas crus. Je me présente, je m’appelle Kifwebe. Comme la majorité de mes condisciples, je suis, comment vous le dire, un simple masque pour certains, mais pour d’autres, particulièrement pour mon peuple, je suis un masque qui chasse les mauvais esprits lorsqu’on me porte.

Je suis né en Afrique, dans le district de Kaminda. Mon créateur, du nom de Bara, m’a mis au monde un jour de grand beau temps, pourtant mon créateur était envahi d’une très grande tristesse. Je vous entends murmurer, vous poser des questions, « Pourquoi mon maître était-il dans cet état alors qu’il venait de finir l’un des plus beaux masques de son peuple ?» Eh bien… C’est tout simple, je vais vous expliquer.

Masque Kifwebe des Songye (ethnie du Congo, établie dans le Kasaï oriental, le Shaba et le Kivu). Coll. privée. Source : Encyc. Univ. 2011

Les créateurs de masque sont choisis à un âge plutôt jeune. Lorsque mon maître a été choisi, son plus grand rêve était de devenir le chef de sa tribu, comme son frère jumeau, aîné de quatre mois et dix jours. Malheureusement, sur une même génération, seul un des membres d’une famille peut être choisi. Comme vous l’avez sûrement compris, son frère allait devenir le chef de sa tribu à l’âge d’en être un, et mon cher Bara n’avait plus d’autre choix que de devenir créateur de masque s’il ne voulait pas aller travailler dans les champs. C’est donc de là que venait la grande tristesse de Bara.

Je suis donc né des larmes de mon maître apportant à mon caractère un côté rêveur, attentionné et beaucoup trop gentil pour le rôle que je dois exercer, le rôle de policier, en quelque sorte. Pour ce métier il faut avoir du courage, de l’autorité et savoir punir. Le courage, j’en ai, j’en ai même un peu trop car il m’arrive très souvent de vouloir faire des choses insensées.

En revanche, je n’ai aucune autorité et je préfère réconforter que punir… Pour ma part, je trouve que ces différents traits de mon caractère représentent des qualités mais, pour le chef des masques, ce sont des défauts sans aucun doute. De plus, comme mon maître, j’ai un rêve et comme lui, je ne pourrais jamais le réaliser. S’il vous plaît, ne le dites à personne, c’est un secret, seul Bara le connaît. J’aimerais devenir le plus grand poète de tous les temps… Je sais, je vise la lune mais, sans rêve, le monde ne serait que tristesse.

Par exemple, au cours du temps, les masques de mon espèce deviennent aigris. Alors que moi, je m’imagine des histoires, je joue avec les rimes, les syllabes, les métaphores…, « Les Mots », tout simplement. Cette passion pour les « Mots », voilà ma grande fierté. Je sais que je ne pourrai jamais voyager et libérer de moi-même ces mots au monde entier, mais mon maître, lui, le peut. Depuis qu’il m’a créé, il a compris que je n’étais pas comme les autres, bien sûr il en était fier, mais il était aussi terrorisé à l’idée que je sois rejeté par les autres.

Il m’a donc proposé de jouer mon rôle le mieux possible pour ne pas attirer l’attention et, en échange, il m’a dit : «Je te propose que, chaque soir, on se réunisse tous les deux et que tu me racontes des histoires, tu me dises tes poèmes et… Je les écrirai pour toi. Et si j’en suis capable, je ferai en sorte que le monde puisse les lire, pour toi, pour nous. Mon rêve ne pourra jamais se réaliser mais le tien… Oui !». Ce jour-là, quand il m’a murmuré ces quelques mots, l’émotion m’a submergé et je lui ai répondu avec des trémolos dans la voix : « Vous êtes la personne la plus sage que j’aie jamais vue et entendue. Je vous fais la promesse de me fondre dans le décor, personne ne pourra faire la différence entre moi et mon voisin. ».

Aujourd’hui je suis l’un des meilleurs policiers de mon régiment même s’il m’arrive, en cachette bien sûr, de venir en aide à certains. Personne ne m’a jamais dénoncé car, grâce à mes services rendus, je suis aimé et respecté de tous. Avec un peu de bonté, on refait le monde ! Bara, lui, a fondé une famille, il a une femme magnifique et ses deux enfants sont des perles et me portent en haute estime. Ils adorent m’entendre leur raconter des histoires, sorties tout juste de mon imagination, avant qu’ils ferment les paupières.

Mon créateur est également devenu le plus grand fabricant de masques. Heureusement, sur toutes ses créations, je suis son préféré !! Je sais, il m’arrive d’être un tout petit peu égoïste. Voilà, vous connaissez toute mon histoire. Avant de vous quitter, j’aimerais vous dire un de mes poèmes favoris. Avant de vous le dire, voici dans quel contexte je l’ai écrit. Je venais de me faire disputer par un de mes collègues, j’étais en colère et je me sentais seul. Je pleurais donc dans mon coin quand une petite fille au grands yeux noirs et profonds, vêtue d’une simple tunique d’un bleu azur, est venue à côté de moi et m’a chanté la plus belle chanson que j’avais entendue de toute ma vie. Elle avait une voix toute fluette, comme celle d’un rossignol. C’était une apparition, réelle mais féerique. J’ai fini, je ne vous retiens plus, le voici :

Pour toi, pour vous…

Sous ses ailes d’azur, notre monde n’est que beauté.

Ses yeux impénétrables sont le reflet d’une vie.
Son chant qu’il nous offre n’est que chaleur, rire et plaisir.
Il nous ouvre la voie, nous murmure ce mot : « Magie ! ».
Cet être merveilleux nous partage l’envie d’offrir.

Ses plumes emportent le temps qui passe et les gens qu’on aime,
Le monde n’est qu’un tourbillon de passage : « Destin ! ».
Sous ses pattes crochues, comment ne pas paraître blême ?
Pourtant, leur finesse infinie nous montre le chemin.

L’oiseau de mon cœur est un souvenir à partager.

Eva, mai 2020